La nécessité d’une meilleure gestion des ressources limitées de notre planète exige la transition d’une économie linéaire à une économie circulaire à l’aide d’une utilisation responsable de systèmes d’information. Le CETIC a investigué un cadre d’analyse de chaînes de valeur circulaire permettant d’identifier l’apport net de solutions technologiques existantes ou émergentes. La démarche est illustrée et discutée sur le secteur de la construction.
Date: 15 septembre 2024
Depuis la révolution industrielle du XIXème siècle, le monde suit essentiellement une économie de type linéaire où en fin de vie, les produits sont immobilisés ou jetés. Ce modèle pose évidemment un problème de soutenabilité dans notre monde aux ressources finies et alimenté par la croissance. Ceci se reflète dans l’indicateur du jour du dépassement estimant le jour de l’année au-delà duquel l’humanité a consommé l’ensemble des ressources renouvelables que la Terre est capable de produire en un an pour régénérer ces consommations ou absorber les déchets produits, dont le CO2. En 2024, c’était le 23 mars en Belgique et le 1er aout au niveau mondial.
Le CETIC est sensible aux enjeux de préservation des ressources dans son fonctionnement quotidien (gestion de l’énergie, bonnes pratiques) et au travers ses projets de recherche. Cet engagement se reflète dans sa participation à la charte du numérique responsable.
Cet article se concentre sur la thématique de l’économie circulaire. Le CETIC est activement impliqués dans le numérique comme levier pour la transition vers ce nouveau type d’économie qui est peut être porteuse de croissance pour les entreprises wallonnes. Le focus de l’article concerne la mise en place d’outils numériques pour soutenir l’économie circulaire en veillant à la balance positive de sa mise en œuvre. La démarche s’appuie sur une évolution d’outils de type Business Model Canvas et Chaîne de Valeur mais en prenant en compte la dimension circulaire.
Le terme économie circulaire (EC) émerge en 1990 avec l’idée de cycle de rétention maximale de la valeur d’un produit comme illustré de manière simplifiée à la figure ci-dessus. L’ADEME la définit comme : "un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en permettant le bien-être des individus". Le développement de l’EC est progressif avec l’émergence de la notion de Cradle-to-Cradle (C2C) vers 2002 et les actions de la fondation Ellen MacArthur.
Actuellement, notre monde connaît une autre transformation liée au développement exponentiel des technologies de l’information et de la communication. Cette Transformation Numérique (TN) provoque un changement de paradigme des activités économiques et sociales. Dans le contexte de l’EC, d’une part, la TN fait partie du problème, car les systèmes d’information (SI) mobilisent de multiples ressources : production des équipements, conception des logiciels, consommation d’énergie avec émission de gaz à effet de serre, production de déchets électroniques, ... D’autre part, elle peut aussi contribuer à sa solution, par son soutien au changement vers l’EC en améliorant la gestion des ressources et en réduisant la production de déchets, tout en sachant que toute transformation mobilisera de l’énergie.
Nous illustrons ici une démarche de transition vers l’EC s’appuyant de manière raisonnée sur les SI. Plus spécifiquement, nous tentons de répondre à la question de recherche Comment les technologies numériques peuvent-elles soutenir le partage d’informations afin d’accélérer la transition circulaire ? Pour y répondre, après avoir rappelé les concepts essentiels, nous proposons une méthodologie, elle-même circulaire, étendant des outils issus de l’analyse métier tels que le business canvas et les chaînes de valeur. L’approche est ensuite validée sur un cas d’étude du domaine de la construction.
Aperçu des modèles d’économie circulaire
Cette section identifie les éléments utiles des modèles d’EC tels que les types de cycles et diverses stratégies et outils. Fondamentalement, on distingue d’une part les cycles biologiques avec les éléments biodégradables, tels que le coton, les denrées alimentaires, le bois, etc. La stratégie de ces cycles est de restaurer les nutriments au sein de la biosphère en reconstruisant du capital naturel, que cela soit naturellement ou via une intervention humaine. D’autre part, les cycles techniques concernent l’ensemble des éléments non-biodégradables, tels que les métaux et certains plastiques. Il importe d’évaluer quel(s) cycle(s) sont mobilisés par une entreprise/un écosystème.
Le diagramme Butterfly (en papillon) proposé par la fondation MacArthur est illustré à la figure ci-dessous. Les cycles biologiques et techniques sont représentés respectivement à gauche et à droite avec des boucles liées à des stratégies décrites plus loin. Ainsi, au niveau technique, les boucles les plus courtes et efficaces sont du partage puis de la réparation ; les plus longues concernent le recyclage des matières premières et impliquent des coûts plus importants de collecte, tri et traitement. Elles ne sont à utiliser qu’en dernier recours car elles préservent moins la valeur du produit.
Diverses stratégies de maintien/remise en circulation alimentent l’EC, notamment les stratégies en R, avec notamment des approches de Réduction pour limiter la quantité de ressources nécessaires à la fabrication ; de Réutilisation pendant la vie du produit pour la prolonger au maximum en réutilisant ou en réparant, ou encore de Recyclage, en fin de vie du produit. Ce concept peut s’étendre et se décliner sous d’autres formes notamment ReSOLVE (Régénérer, Partager, Optimiser, Boucler, Visualiser et Échanger).
Pour mettre en place l’EC, des extensions à des outils d’analyse sont proposés, notamment un business model canvas et une chaîne de valeur circulaire développés par le CIRCULAB. Ils permettent d’identifier des possibilités de prochain usage, les flux circulaires, ainsi que les impacts positifs et négatifs au niveau sociétal ou environnemental, y compris de possibles effets de rebond.
L’industrie de la construction serait responsable de plus de 30% de l’extraction des ressources naturelles et de 25% des déchets solides mondiaux. La plupart des bâtiments existants ne peuvent pas être déconstruits facilement afin d’y récupérer les matériaux qui deviennent inutilisables à la fin de vie d’un bâtiment. Au sein de l’Union Européenne, 5 à 12% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de ce domaine, ce qui en fait un secteur à haut potentiel de réduction des émissions, estimé à 80% selon l’ARUP. Le cycle de vie typique d’un bâtiment est illustré à la figure suivante :
Pour ce secteur, une prise de conscience des besoins de circularité émerge mais sa mise en œuvre est lente, même pour de nouveaux projets car les parties prenantes ne maîtrisent pas encore les concepts et sont confrontés à divers obstacles liés à la complexité de l’écosystème ou de la réglementation. Il est cependant possible d’envisager des stratégies en R plus efficaces en termes de réemploi des éléments des bâtiments à différents niveaux de finition en considérant les bâtiments comme des banques de matériaux telles que définies par le projet BAMB, Building As Material Banks. Ceci nécessite cependant la mise en place de SI spécifiques qui se heurtent au retard du secteur en matière de TN. Le défi est donc d’activer des leviers sur les deux dimensions simultanément afin de faire progresser tout un secteur. Pour notre étude de cas, nous considérerons un écosystème belge qui est utilisé au point suivant pour illustrer notre démarche.
La méthodologie est structurée en 4 étapes d’un cycle de montée en maturité illustré à la figure ci-dessous :
Etape 1 - Situer la maturité tant au niveau circulaire que numérique peut s’appuyer sur des indicateurs publiés. Dans notre cas, nous avons combiné la maturité numérique fournie par le baromètre digital wallon et de maturité de l’économie circulaire selon l’index CEBIX (Circular Economy Business IndeX (Circular Economy Business IndeX). Il combine 17 indicateurs couvrant des dimensions d’efficacité des processus, de réduction des émissions, de mise en œuvre de boucles, de gestion des déchets, de recherche/innovation. Les deux indicateurs sélectionnés nous ont permis de situer la maturité du secteur de la construction, comme l’illustre la figure suivante. On remarque que la maturité numérique y est assez faible mais qu’une réelle conscience est présente au niveau du besoin de circularité. Ce secteur est donc une cible très intéressante en termes de potentiel d’amélioration.
Etape 2 - L’élaboration de la chaîne de valeur circulaire permet d’identifier les acteurs actuels/émergents, ainsi que leurs manières actuelles de fonctionner en écosystème. Dans notre cas, ceci nous a permis de capturer la complexité des flux comme l’illustre la figure ci-dessous basée sur les chaînes de valeur circulaires. Il a aussi permis d’identifier des acteurs sources d’innovation pour l’écosystème : Rotor DC, une société spécialisée dans le démantèlement et la revente de matériaux qui permet d’identifier plus efficacement le matériel récupérable en fin de vie, et Multipick qui réalise le tri automatisé très rapide et fiable de déchets basé sur des techniques d’intelligence artificielle. Cette activité permet en outre de relocaliser des activités de tri réalisées par export de déchets dans des pays émergents (impact carbone) avec souvent des problématiques de contrôle des conditions de travail (impact social).
Etape 3 - La définition de la stratégie se base sur l’analyse des besoins et barrières issus de la chaîne de valeur établie au point précédent. Un point clef pour le succès de la transition circulaire est de gérer le nombre d’acteurs et d’interactions qui peut être important dans certains écosystèmes. Alors que dans le cadre d’une économie linéaire, les informations sont généralement peu partagées et suivent une chaîne logistique bien déterminée, dans un cadre circulaire, le partage doit être plus ouvert et dynamique. Ceci exige aussi un système de partage d’information plus adapté en termes d’ouverture, de décentralisation et de pérennité. La figure ci-dessous illustre la stratégie envisagée qui simplifie les flux à travers tout le cycle de vie d’un bâtiment via un SI dédié à la conservation d’information sur le bâti.
Etape 4 - L’identification de l’apport des SI permet de proposer les technologies numériques les plus adéquates. Diverses technologies (communication, analytics, cyber physical systems, stockage de données, simulation,..) sont envisageables en fonction de leur capacité à soutenir certaines stratégies en R. Dans notre cas, des solutions décentralisées de type Blockchain pourraient être envisagées mais des obstacles de maturité et de coût énergétique font privilégier une solution plus centralisée gérée par un acteur neutre jouant le rôle de régulateur. Outre l’impact énergétique et environnemental, d’autres aspects sont aussi à étudier tels que l’adoption par les acteurs et la cybersécurité des SI déployés. A plus long terme, le changement de paradigme vers le bâtiment comme service est aussi à prendre en compte, avec comme facteur déclencheur l’adoption du télétravail et du flex office suite à la crise sanitaire du COVID.
Cet article de blog a esquissé une méthodologie itérative structurée permettant de soutenir la transition vers l’économie circulaire en s’appuyant sur une démarche de transformation numérique et basée sur l’utilisation d’outils d’évaluation de maturité ainsi que des canevas et chaînes de valeur adaptés pour un cadre circulaire. Nous avons illustré la démarche sur un cas issu de la construction, grand consommateur de ressources et en pleine phase de transformation numérique.
Bien que ciblée et limitée à une itération, notre démarche est généralisable pour un accompagnement plus long dans la transition et à travers d’autres domaines modulo quelques extensions telles que la mise en place d’une mesure de la montée en maturité ainsi que d’une feuille de route long terme pour la co-conduite de la transition circulaire et de la transformation numérique.
Si cette problématique vous intéresse et si vous désirez explorer comment faire une transition vers des modes plus circulaires tout en réalisant une transformation numérique responsable, n’hésitez pas à nous contacter pour en discuter !
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet IDEES-CO-INNOVATION et en collaboration avec l’Université de Namur dans le cadre du mémoire de fin d’études (juin 2022) de Louise Noël que nous remercions, de même que tout l’écoteam CETIC qui l’a enrichi de ses retours.