Comment sélectionner les parties prenantes dans un projet numérique

Comment sélectionner les parties prenantes dans un projet numérique

Etude de cas

La littérature et les retours d’expérience dévoilent de nombreuses méthodes et philosophies sous-jacentes à la sélection des parties prenantes d’un projet, quelle que soit sa nature, le secteur dans lequel il évolue et les objectifs qu’il vise. Cette étude de cas tente d’apporter les constats nécessaires à la construction d’hypothèses dans le cadre de projets numériques, et de débuter une réflexion par le biais de cas centrés sur l’étape d’idéation.

Date: 15 octobre 2021

Expertises:

Co-création pour le numérique 

Domaine: Numérique et société 

Dans des écosystèmes en constant changement, par le fait de la dématérialisation des compétences et des ressources, le modèle traditionnel qui consistait à développer les capacités d’innovation au sein de l’organisation, comme un capital à préserver de la concurrence devient inadéquat [1]. Le secteur forestier en est un parfait exemple. Les gestionnaires de parcelles doivent profiter de la recherche en imagerie satellite afin d’optimiser l’utilisation des sols, les administrations publiques doivent faciliter les démarches auprès des propriétaires, en les numérisant, les exploitants doivent s’adapter aux normes environnementales et répondre aux défis climatiques, ... Peu numérisée, il y a encore quelques années, l’innovation y est pourtant essentielle pour que l’ensemble de la filière soit concurrentielle, et que l’ensemble des acteurs en tirent le meilleur profit.

La co-innovation, qui favorise l’émergence de façon conjointe, parmi plusieurs entités, des projets d’innovation [2], est une réponse à cette nouvelle interconnexion globale des individus, organisations, et autres institutions. Et c’est ce passage d’une vision firmo-centrée (c’est-à-dire centrée sur les intérêts de l’entreprise) des collaborations à une vision socio-centrée de ces échanges qui rend nécessaire une nouvelle approche des parties prenantes, afin de répondre aux défis posés par cette conception éco-systémique des relations de l’entreprise dans son environnement.
Cependant, il apparaît consécutivement à un état de l’art et de l’expérience du CETIC dans les projets de divers types et d’ampleur variées, qu’il n’existe pas de consensus sur les méthodes de caractérisation et de sélection de parties prenantes, et qu’il en existe une multitude, citons en exemple les modèles de triple, quadruple voire quintuple hélice [3]. De même, de nombreux facteurs rentrent en compte pour expliquer des erreurs de parcours pour les projets innovants dans le secteur numérique, mais un retour des entretiens réalisés en amont de cette étude mettent en avant une sélection parfois inadéquate des parties prenantes, ou une mauvaise coordination de ces dernières.
Enfin, les confinements et télétravail de masses corollaires à la crise du covid de 2020 ont recréé des organisations de travail en silo, avec une diminution accrue de la communication vers l’extérieur des équipes et vers les partenaires, comme montré dans une étude réalisée au sein de Microsoft [4]. La tendance n’est pas à un retour aux modes de fonctionnement antérieurs à cette période, mais à une organisation hybride du travail et par conséquent des communications et des collaborations. Les méthodes de co-innovation, y compris la sélection des parties prenantes, doivent donc évoluer afin de s’adapter positivement à ce changement, tout en préservant les collaborations intra et inter organisationnelles.

Cette étude se penche dès lors sur plusieurs cas de projets, dont l’objet est la conception de solutions numériques, afin d’approfondir les méthodes habituellement utilisées et les résultats obtenus dans le but d’en identifier les patterns d’une sélection des parties prenantes qui sont impliquées au sein de ces projets. Cette étude de cas a l’ambition d’établir une série de constats qui permettront, dans une étape ultérieure, de mettre en avant un certain nombre d’hypothèses, et ainsi de compléter l’état de l’art déjà réalisé, afin de proposer un modèle à valider au sein de projets de recherche futurs.

Cas étudiés

La méthode de l’étude de cas a été choisie ici pour son approche qualitative et exploratoire, et l’opportunité qu’elle offre d’analyser des cas différents, a posteriori, et d’en tirer des hypothèses permettant des tests plus contrôlés sur des modèles à venir. Le but à moyen terme étant de proposer des recommandations pour de futurs projets d’innovation .
Le premier projet analysé est l’étude d’une approche centrée utilisateur dans le cadre de la conception d’un outil numérique de monitoring de la forêt de la grande Région dans ces fonctions environnementale et économique. Le CETIC a été missionné par RND [5] dans la définition d’une méthodologie de co-construction de cet outil et d’une dynamique de co-innovation. Dans ce cadre, un prestataire tiers a proposé une méthode de sélection des parties prenantes partant des partenaires au projet support de l’initiative, et par le biais d’ateliers de co-conception, élargissant cette notion de parties prenantes aux utilisateurs de la forêt et d’autres acteurs d’intérêt, tels que, de manière non exhaustive, les gestionnaires de terrains publics, les propriétaires de parcelles privées, les acteurs de la transformation du bois, les chercheurs ou les citoyens promeneurs.
Le second projet consiste au rassemblement d’un ensemble d’acteurs dans un processus d’idéation autour du concept de drone comme outil de détection d’événements de diverses natures. Le processus d’idéation s’est déroulé en plusieurs étapes qui peuvent se résumer ici en une phase de divergence puis de convergence, processus inspiré classiquement du design thinking [6]. La méthode de la triple hélice a été utilisée dans le cadre de ce projet afin de sélectionner les parties prenantes invitées aux différentes phases de discussion.

Il s’agit de deux projets qui se sont déroulés durant les années 2019 et 2020, avant, la pandémie de covid et le confinement des travailleurs, sur des durée de 2 mois pour le second cas à 7 mois pour le 1er.

Le premier cas a demandé un engagement de la communauté constituée tout au long des différentes étapes du processus, c’est-à-dire trois ateliers espacés de plusieurs semaines. L’espoir étant que cet engagement se prolonge et que la communauté reste active-able et mobilisée-able pour des activités futures. Le second projet quant à lui n’a pas fait appel à un engagement fort pendant les deux ateliers réalisés, en effet les profils participants étaient assez différents. De plus, cet exercice d’idéation n’a pas été suivi, jusqu’à maintenant, d’une élaboration plus poussée. Par conséquent, il n’est pas possible de juger de l’engagement des participants mobilisés lors des ateliers dont il est question dans cette étude.

Modèle en triple hélice Université-Industrie-Gouvernement
Henry Etzowitz (2002)

La grille qui suit résume rapidement la comparaison des deux cas selon différentes dimensions.

Dimensions Cas 1 Cas 2
Secteur Forestier Numérique
Ouverture à l’innovation Basse Haute
Multidisciplinarité du secteur Élevée Moyenne
Phase du projet Idéation Idéation
Engagement de la communauté En partie Non applicable
Temporalité de l’intervention Mai à novembre 2019 Novembre 2019 à février 2020
Sélection a priori ou analyse a posteriori de la méthode Analyse Sélection
Méthode de sélection des parties prenantes Utilisateurs ou fournisseurs triple hélice et sectorielle
Taux d’engagement sur la longueur Variable Grandissant

Apprentissages

Ces deux cas, pourtant distincts dans les méthodes utilisées et dans les résultats attendus et obtenus, permettent de mettre en avant les questionnements sur lesquels il est nécessaire de se pencher dans la construction d’un modèle de sélection des parties prenantes. La suite de cet article prend la forme d’une FAQ esquissant alors des réponses qu’il nous est possible de proposer à ce stade.
Certaines thématiques, abordées en surface ici, font par ailleurs l’objet de travaux plus élaborés de notre part, notamment au sujet des outils numériques, du rôle de facilitation ou de l’engagement.

Comment susciter l’ouverture dans un projet et la multidisciplinarité des parties prenantes ?
Les dernières méthodes qui ont vu le jour et la théorie qui sous-tend vont dans ces directions, en forçant une approche transversale et la plus large possible dans la sélection des parties prenantes. C’est le cas des “panel circles” [7], méthode approchée par le premier projet. Les méthodes de triple, quadruple voire quintuple hélices sont également par essence génératrices d’ouverture. Le second projet a d’ailleurs sélectionné les parties prenantes selon le modèle de la triple hélice complété par une approche multisectorielle. On observe que ces deux projets avaient la volonté de l’ouverture et la multisectorialité voire, la multidisciplinarité, ont été largement déployés, en mobilisant dans les deux cas plus d’une dizaine de secteurs, de métiers et d’expertises différentes. Cela a mené à une génération très prolixe d’idées pour les deux phases d’idéation étudiées.
Un second élément que nous observons est que dans les deux cas, la sélection des participants aux différentes activités, de manière réfléchie et approfondie, a permis de réunir un écosystème, parfois animé par des injonctions contradictoires, qui ne se rapprochent pas naturellement par ailleurs. Dès qu’on multiplie les profils des intervenants, l’animation et la facilitation, lors des différents échanges, apparaissent comme un facteur de réussite de ces collaborations et du rapprochement réussi au final.

Un projet est parcouru de différentes phases, chacune avec des temporalités variables. Comment gérer ces temporalités vis-à-vis des parties prenantes ?
Comment gérer les temps longs mais aussi les temps morts ? Quel est l’impact des délais entre les différentes activités sur le résultat final ? Cela amène la question suivante : est-ce que la réflexion approfondie d’une sélection minutieuse des parties prenantes est davantage pertinente dans le cadre de projets courts ou des projets de durée plus étendue ? A ce stade, nous ne pouvons proposer d’éléments de réponses sur cette thématique, cependant des pistes semblent se dessiner notamment au travers de l’hybridation des échanges, via des outils numériques collaboratifs et une gestion de nouvelles organisations du travail.

Quel peut être le rôle des outils numériques dans la sélection et la gestion des parties prenantes ?
Le constat que nous pouvons tirer de cette étude de cas est que les outils numériques doivent permettre d’élargir l’écosystème de manière virtuelle, sur certaines activités de vote etc. ou pour élargir géographiquement la participation aux activités d’interaction. Un travail plus approfondi est en cours au moment de la rédaction de cet article, en collaboration avec le Click [8] et Design Innovation [9] , sur les outils numériques comme support à la co-innovation à distance.

Des méthodes de sélection orientées vers l’ouverture amènent par essence des profils variés de participants aux discussions. Comment impliquer ces différents profils de manière pertinente ?
Un retour à la littérature nous permet de lire le conseil d’Olivier Wathelet [10], d’identifier les différentes phases du processus de co-innovation et de cibler certaines parties prenantes clés qui sont intéressantes pour ces étapes en particulier, selon leur expertise mais aussi leur profil en tant qu’utilisateur.
En pratique, nos analyses de nos études de cas permettent de confirmer cette approche, même au sein de la seule phase d’idéation. Plus précisément le second cas, traitant du projet de drones, qui a permis de mettre en valeur dans un premier temps des visions transversales de chef de projet, d’équipes ou de directeurs, et dans un second des profils plus techniques et plus experts qui ont pu lever les risques technologiques, légaux ou encore fonctionnels.

Enfin, comment aboutir au consensus lorsque les profils sont si différents que la génération d’idées est très importante et parfois jonchée de visions contradictoires ?
Il est à constater qu’une grande diversité de profils ne permet pas toujours d’aboutir à une proposition concrète à la fin de la phase d’idéation, ou alors le processus de consensus restreint tellement la proposition que l’ensemble des participants ne s’y retrouvent pas. Il est utile de les inviter alors dans d’autres réflexions, et pourquoi pas recycler des idées fortement sollicitées mais non retenues pour un premier projet.
Enfin, on s’aperçoit dès lors que lorsqu’un grand nombre d’idées ont été générées par un grand nombre de parties prenantes, alors qu’un consensus devient difficile à obtenir, un porteur de projet doit être en mesure de recentrer la proposition autour de son besoin primaire, de son objectif principal. A cette fin, le facilitateur qui accompagne le porteur de projet peut lui permettre de centrer les débats en amont, et ensuite de focaliser les résultats tout en respectant le consensus obtenu par la communauté.

Conclusion et réflexions futures

A ce stade, de nombreuses interrogations et questions suscitées par l’étude de cas et l’état de l’art réalisé en amont restent ouvertes. De multiples orientations ou précisions des questions de recherches sont possibles, nous pouvons les classer en trois thématiques principales

  • Temporalité et pertinence de modélisation de la sélection des parties prenantes sur des projets courts ou des projets longs.
  • Engagement et motivations des parties prenantes selon les parties prenantes sélectionnées.
  • Dépendance entre sélection des parties prenantes et phase du projet dans laquelle elles sont impliquées.

Et enfin, existe-t-il un modèle de sélection spécifique aux projets numériques ?
En parallèle de ces réflexions, les évènements des années 2020 et 2021, c’est-à-dire la pandémie et le travail à distance en masse qui s’est mis en place pour la contrer, mettent en avant également d’autres questionnements liés à la numérisation des échanges. Le recours aux réunions en ligne et aux outils numériques a-t-il un impact sur ce modèle hypothétique de sélection des parties prenantes ?

Si vous êtes intéressés par ce sujet, que vous avez besoin d’être accompagné dans la création d’un groupe de travail, dans la sélection des parties prenantes directes et indirectes d’un projet, et dans la co-innovation en générale, n’hésitez pas à nous contacter -.

[1Sang M. Lee, David L. Olson, Silvana Trimi, (2012),"Co-innovation : convergenomics, collaboration, and co-creation for organizational values", Management Decision, Vol. 50 Iss : 5 pp. 817 - 831
disponible sur https://www.researchgate.net/publication/242338170_Co-innovation_Convergenomics_collaboration_and_co-creation_for_organizational_values

[2Glossaire du Management de l’innovation, disponible sur : http://www.innovationmanagement.fr/index.php?option=com_glossary&letter=C&id=3

[3Carayannis, E. G., & Campbell, D. F. J. (2017). Les systèmes d’innovation de la quadruple et de la quintuple hélice. Innovations, 54(3), p.186.

[4Yang, L., Holtz, D., Jaffe, S. et al. The effects of remote work on collaboration among information workers. Nat Hum Behav (2021). https://doi.org/10.1038/s41562-021-01196-4

[5RND, Ressources, naturelles développement : http://www.rnd.be/

[6Efeoglu, A., Møller, C., Sérié, M., & Boer, H. (2013). Design thinking : characteristics and promises. In Proceedings 14th International CINet Conference on Business Development and Co-creation (pp. 241-256). Continuous Innovation Network.

[7Katariina Malmberg, Ines Vaittinen, Penny Evans, Dimitri Schuurman, Anna Ståhlbröst, & Koen Vervoort. (2017). Living Lab Methodology Handbook. Zenodo. p.70.

[8Le Click de Mons, La plateforme d’accompagnement à la créativité et à l’innovation. https://le-click.be/

[9Design Innovation, le Centre de compétence wallon dédié au design. https://www.designinnovation.be/

[10Wathelet O., Devos N., Viseur R., Méthodes d’innovation pour, avec et par les usagers au sein d’un Living Lab - Recommandations méthodologiques (p.25). 2016 disponible sur : http://www.academia.edu/32939446/M%C3%A9thodes_d_innovation_pour_avec_et_par_les_usagers_au_sein_d_un_Living_La